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H3 - LA MÉDITERRANÉE MÉDIÉVALE : UN ESPACE D’ÉCHANGES ET DE CONFLITS À LA CROISÉE DE TROIS CIVILISATIONS
Sous l'Empire romain, la Méditerranée formait une unité politique et culturelle intégrée au sein d'un même État, caractérisé par des institutions communes et des échanges harmonieux. Cependant, au Moyen Âge, cet espace devient fragmenté et partagé entre trois grandes civilisations : la chrétienté latine, l’Empire byzantin et le monde musulman. Ces trois ensembles, établis sur les rives de cette mer intérieure, entretiennent des relations complexes, où échanges et conflits s’entremêlent.
Le cadre chronologique de cette étude se concentre sur le Moyen Âge central, c’est-à-dire les XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, une période où l’Occident chrétien et le monde musulman sont en pleine expansion. Cette dynamique de croissance entraîne des interactions intenses, qu’il s’agisse d’échanges commerciaux et culturels ou d’affrontements militaires, comme en témoigne la deuxième croisade, prêchée par Bernard de Clairvaux en 1145. Ces relations paradoxales entre civilisations soulèvent une problématique essentielle :
• Problématique : Comment se fait-il que les trois civilisations présentes en Méditerranée au XIIème siècle et au XIIIème siècle entretiennent-elles des relations aussi paradoxales ?
I. Trois civilisations présentes en Méditerranée :
À l’époque médiévale, trois civilisations majeures se partagent l’espace méditerranéen, chacune marquée par des caractéristiques culturelles, religieuses et politiques propres. La chrétienté latine, implantée en Europe occidentale, est dominée par l’Église catholique et dirigée spirituellement par le pape. L’Empire byzantin, héritier de l’Empire romain d’Orient, s’organise autour de Constantinople et suit les préceptes de l’Église orthodoxe. Enfin, le monde musulman, qui s’étend du Proche-Orient au Maghreb, présente une grande diversité interne, notamment entre sunnites et chiites, et se structure autour des enseignements du Coran et de la loi islamique.
Malgré leurs différences, ces trois civilisations partagent un espace commun, la Méditerranée, qui devient un lieu de rencontres, d’échanges et de rivalités. La proximité géographique favorise des interactions variées, où le commerce, la culture et la religion jouent un rôle fondamental.
II. Trois civilisations qui nouent des relations commerciales et culturelles
A. La circulation des marchandises en Méditerranée
- Le commerce vénitien est présent dans toute la Méditerranée orientale : Venise, République maritime (ville côtière, gouvernée par une oligarchie, qui a connu une prospérité économique grâce au commerce) dispose de comptoirs commerciaux (territoires en pays étranger destinés à favoriser le commerce du pays gouvernant) en Grèce et dans tout l’Empire byzantin ;
- L’essor commercial de Venise s’explique à la fois par sa situation maritime (c’est un port disposant d’un important arsenal), par les privilèges commerciaux accordés en 1082 par l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène (pour avoir protégé les Byzantins contre les attaques normandes) mais aussi par des innovations (compagnies commerciales et contrats) ;
- Alors que les relations entre Venise et l’Empire byzantin sont bonnes au moment de l’attribution des privilèges de 1082, elles se détériorent en 1204, quand les Vénitiens, lors de la quatrième croisade, convainquent les chrétiens de détourner leurs navires pour faire le pillage de Constantinople. L’Empire byzantin, déjà très affaibli, voit son territoire se réduire encore.
En Méditerranée, les marchands chrétiens, musulmans et byzantins s’échangent des produits agricoles, des étoffes, des matières premières et des esclaves. Ces produits circulent sur des bateaux reliant les grands ports comme Venise, Constantinople, Alexandrine ou Barcelone. Les marins utilisent des objets comme les astrolabes (qui permettent de se diriger en mer grâce à la hauteur des astres) et rédigent des contrats, appelés commendas ou colleganza, qui permettent de mobiliser de l’argent pour faire naviguer un navire et partager les risques.
B. La circulation des idées en Méditerranée
• Grâce à leurs conquêtes et à leurs contacts avec les byzantins, les musulmans ont collecté de très nombreux manuscrits antiques rédigés en grec. Ils sont traduits en arabe et sont entreposés dans des bibliothèques. Ils permettent aux savants musulmans de faire progresser les connaissances dans des sciences comme les mathématiques, la médecine, l’astronomie ou la géographie. La chrétienté latine est alors en retard scientifique sur le monde musulman puisque les manuscrits, en Occident, ne sortent pas des bibliothèques des monastères.
• Dès le XIIème siècle, les latins prennent conscience de l’étendue du savoir des musulmans quand ils pénètrent sur leurs territoires. Des textes grecs ou arabes sont alors traduits en latin, comme le Coran en 1142, ce qui permet de mieux comprendre l’islam et de mieux le combattre.
C. Des lieux de mélanges entre civilisations ?
• Dans certaines villes comme Palerme, capitale du royaume normand de Sicile, plusieurs communautés coexistent : on y trouve des normands (qui sont chrétiens), des juifs et des orthodoxes. Mais chaque communauté vit dans son quartier, autour de son lieu de culte. Par exemple, le quartier juif de la ville s’organise autour de la synagogue. De plus, des murs séparent ces quartiers entre eux. Le pouvoir politique et religieux fait en sorte que les communautés ne se mélangent pas : les mariages mixtes sont interdits par le pouvoir royal.
• Cela n’empêche pas des influences culturelles réciproques que l’on appelle syncrétisme. Dans le domaine architectural, la chapelle du Palais de Palerme en est un bel exemple : édifiée en 1130, elle présente un plan en croix latine, avec des mosaïques dorées de style byzantin et des éléments décoratifs sous forme d’étoiles, typiques de l’architecture musulmane.
III. Trois civilisations qui entrent en conflits en Méditerranée
A. Des conflits dans la péninsule ibérique
• À la fin du XIème siècle, les royaumes chrétiens ibériques (le royame d’Aragon, le royaume de Navarre, le royaume de Castille, le royaume de Léon et le royaume du Portugal) lancent laReconquista (reconquête des territoires musulmans en Espagne) : tous les rois chrétiens ibériques souhaitent chasser les musulmans de la péninsule. En 1085, la prise de Tolède par les chrétiens ouvre la voie à la reconquête du centre de la péninsule.
• Au début du XIIIème siècle, une nouvelle offensive chrétienne, appuyée par des troupes françaises, les germaniques et italiennes, est lancée. En 1212, à la bataille de Las Navas de Tolosa, les musulmans qui disposent d’une position géographique plus favorable dans la bataille (ils ont installé leur poste de commandement sur une colline) sont vaincus du fait de la supériorité numérique des troupes chrétiennes. Cette victoire chrétienne permet de relancer la conquête de la moitié Sud de la péninsule ibérique par les troupes chrétiennes (à l’exception de l’émirat de Cordoue, qui résiste jusqu’en janvier 1492).
B. Des conflits dans la région de Jérusalem
- En 1145, Bernard de Clairvaux soutient la deuxième croisade. Cette croisade (guerre lancée par l’Église contre les musulmans) est lancée par le pape Eugène III. Lors de la première croisade (1095-1099), les chrétiens avaient conquis Jérusalem et sa région et créé des « États latins d’Orient » Mais, en 1144, Édesse est reprise par les musulmans dans le cadre du djihad (guerre lancée par les musulmans contre les chrétiens), justifiant une deuxième croisade. La croisade est le moyen de défendre les lieux saints chrétiens : en 1095, les musulmans avaient interdit l’accès des pèlerins chrétiens à Jérusalem, où se trouve le Saint-Sépulcre (c’est-à-dire le tombeau de Jésus) ;
- Plusieurs acteurs interviennent dans la deuxième croisade : le clergé prêche pour lancer la croisade et les monarques partent combattre. En France, Bernard de Clairvaux influence la décision du roi Louis VII, celle du pape Eugène III (qui a été moine dans son abbaye) et celle des Templiers (ordre de moines-soldats se battant pendant les croisades), dont il est proche ;
- Bernard de Clairvaux explique la défaite des croisés (nom des chevaliers qui font la croisade) par leurs péchés et les désaccords entre monarques : en 1148, ils choisissent de faire le siège de Damas mais c’est un échec. Six autres croisades sont organisées par les chrétiens jusqu’en 1271 mais elles sont toutes des échecs : en 1187, a lieu la prise de Jérusalem par Saladin.
C. Des divisions au coeur même des religions
• Des divisions existent entre les chrétiens latins et les chrétiens orthodoxes. En 1054, la chrétienté éclate en deux branches : un schisme (éclatement d’une religion en deux branches) donne naissance à une Église latine (dirigée par le Pape depuis Rome) et à une Église orthodoxe (dirigée par le Patriarche depuis Constantinople). Bien que tous ces chrétiens croient en Jésus et lisent la Bible, les latins font la messe en latin alors que les orthodoxes la font en grec ancien. De plus, les chrétiens considèrent que le Pape est le représentant de Dieu sur Terre alors que les orthodoxes considèrent que le basileus est le seul représentant de Dieu sur Terre. On assiste même à des conflits au sein même de la chrétienté : en 1204, Venise et les croisés (qui sont des chrétiens latins) pillent Constantinople, capitale de l’Empire byzantin (qui est orthodoxe).
• Dans le monde musulman, des tensions existent aussi. Au VIIème siècle, les successeurs du prophète Mahomet se disputent sa succession, donnant naissance à deux branches de l’islam : le sunnisme (branche pour laquelle les proches disciples de Mahomet doivent lui succéder) et le chiisme (branche pour laquelle les descendants directs de Mahomet doivent lui succéder). De plus, l’immensité du monde musulman explique sa fragmentation en plusieurs États, qui s’affrontent : en 1055, les Seldjoukides (sunnites) et renversent les Abbassides (chiites).
Conclusion
• Trois civilisations monothéistes sont installées sur les rives de la Méditerranée médiévale : la chrétienté latine au Nord-Ouest, l’Empire byzantin au Nord-Est et le monde musulman au Sud. Ces civilisations entretiennent des rapport nombreux et variés : elles entrent parfois en conflit pour des motifs religieux et territoriaux et elles échangent des produits commerciaux et des savoirs.
• Ces échanges, si paradoxaux soient-ils, s’expliquent par la proximité géographique et religieuse (qui favorise les échanges et exacerbe les tensions) entre ces civilisations mais aussi par leur volonté de puissance militaire et commerciale (qui les pousse tantôt à s’allier, tantôt à s’attaquer).